Depuis le quasi-mythique « Trio Violon » et sa « Concordance des Temps » parue comme un miracle discographique en 1991, sortant un improbable répertoire violonistique du silence torpide dans lequel il était jusqu’alors plongé, bien des publications ont été consacrées aux pratiques du violon sur le plateau de l’Artense : des recueils, des portraits, des enquêtes sur des personnages comme Léon Peyrat, Alfred Mouret, Joseph Perrier… L’intérêt pour ce répertoire et le style ornemental qui l’accompagne semble alors intarissable. Pour ne citer qu’eux, Olivier Durif et Jean-Pierre Champeval ont fait leur come-back avec « Les Rochers du Viallaneix », Phillipe Ancelin et Pierre Fey nous ont servi «l’Oreille du Lièvre», les parisiens de « Dzouga ! » nous ont également montré tout leur amour pour ce répertoire et le « Duo Artense » en est au mixage de son deuxième album…
Il reste que l’épaisseur de cette musique, avec ses modes si particuliers, tamise toute évidence possible dans les inextricables détours mélodiques toutefois ressassés par les violoneux d’hier et d’aujourd’hui. C’est cette évidence du mystère, de la densité insondable, que Clémence et Noëllie allongent sur les quinze pistes d’un disque d’une fluidité saisissante. Bien sûr, il y a la danse dans l’évidence, comme un rapport à la générosité joué d’avance ; il y a la danse dans la densité aussi, un équilibre ancestral qu’entretient la finesse suprême des arrangements, car ce ne sont que des coups d’archets, des vitesses, des pressions, des suspensions, des vides… Peut-être parfois l’invocation sensuelle d’harmonies classiques, bourdonneuses ou de frottements monodiques, qui viennent illuminer l’ombre du monstre Artensier sacré, ce répertoire imprenable qui pourrait finalement bien plutôt se mesurer aux petits bouts de clarté qui en émanent plutôt qu’à la taille de sa noirceur…
Mais si la cadence est offerte avec brio, les Poufs à Cordes paraissent s’installer comme naturellement, confortablement dans les airs séculaires qui frémissent de l’écorce, lorsque est susurrée l’incantation primitive et profonde qui en fera jaillir la sève intérieure. Toujours un sursaut, qui doit tenir d’une élégance ancrée bien fort, vient les déjouer de l’attitude facile qui consisterait à se vautrer dans l’énergie « locomotive » des morceaux dont la beauté à vapeur nous enivre. A aucun moment la forêt ne s’écarte pour se plier au tracé du chemin de fer. Ce disque, un des meilleurs du genre, est une longue marche à la lisière du sauvage, traversant clairières, bois noirs et ruisseaux, une oeuvre accomplie par le mouvement du cœur, qui vient battre souvent en échos avec le chemin déjà parcouru.
Alors tremble en tout lieux la danse des corps contents, comme a pu vibrer la concordance des temps, et de même que le chemin n’arrive jamais.
Wilton